Niger/Pratique de la mendicité : Troquer sa dignité pour vivre aux dépens des autres
Pratique que l’islam condamne dans toutes ses formes, la mendicité est devenue un phénomène social au Niger. Dans la recherche des gains faciles, des individus venant des horizons divers ont choisi de troquer leur dignité pour vivre aux dépens des autres. Face à la saturation du « marché », le phénomène est exporté dans certains pays de la sous-région.
« Le fait que l’un de vous prenne une corde puis va à la montagne pour en apporter un fagot de bois sur son dos et le vende afin qu’Allah lui épargne l’humiliation de la mendicité est meilleur pour lui que tendre sa main aux gens qu’ils lui donnent ou refusent de lui donner. » C’est ainsi que le Prophète (PSL) a exhorté le musulman, dans un hadith rapporté par Boukhari à manger du produit du travail de ses mains et à éviter, par honneur, de tendre la main et de solliciter l’assistance des autres. Il n’est pas permis au musulman qui a la capacité physique de travailler pour subvenir à ses besoins, aux besoins de sa famille et de tous ceux qui sont à sa charge de recourir à la mendicité.
« Par principe, l’islam est contre toutes les formes de mendicité », résume Oustaz Laminou de la Grande mosquée de la cité SONUCI sise au quartier Château 1. Les seules personnes qui sont autorisées à mendier, pour un temps, poursuit-il, « ont été citées dans le hadith de Qabîssa ». Il s’agit, selon ce hadith rapporté par Mouslim, de trois individus, à savoir quelqu’un qui a pris en charge de payer une rançon pour mettre fin à une querelle. Celui-là peut demander assistance jusqu’à ce qu’il obtienne la valeur de la rançon dont il est redevable puis s’arrête de demander ; quelqu’un dont les biens ont été frappés par une calamité. Celui-là a le droit de demander assistance jusqu’à ce qu’il retrouve de quoi vivre ; quelqu’un qui souffre d’une disette dont témoignent trois hommes intègres de son peuple. Il lui est permis de demander assistance jusqu’à ce qu’il puisse subvenir lui-même à ses besoins ».
Il apparait clairement que l’islam, religion derrière laquelle les mendiants se cachent pour exercer, est contre cette pratique. La mendicité serait-elle alors un phénomène social ? Le socio-anthropologue, Maman Sani Yahaya Janjouna, l’explique en ces termes dans les colonnes du quotidien Le Sahel : « Nous sommes dans un pays certes pauvre et qui a une culture spécifique où, tant que vous ne donnez pas, vous n’êtes pas bien vu. Cela veut dire que celui qui donne dans notre société est bien vu. Donc, donner a un sens socio-anthropologique dans nos sociétés ». Pour autant que donner à un sens socio-anthropologique, il y aura toujours des gens qui vont tendre la main pour recevoir. Pour le socio-anthropologue, c’est l’offre qui a précédé la demande, parce que les gens veulent donner. « Dans une telle perspective, ce n’est pas étonnant que cette catégorie de personnes se professionnalise dans le domaine, pour peu qu’elle soit prête à perdre sa dignité, son honneur ». C’est ce que l’on constate aujourd’hui dans toutes les localités du Niger avec un accent particulier sur certaines artères de la capitale.
Prolifération des mendiants professionnels
Au Niger, la mendicité est devenue une activité génératrice de revenus dont la pratique est même exportée dans certains pays de la sous-région. On se rappelle des mendiants Nigériens rapatriés du Ghana, du Sénégal et ceux régulièrement expulsés de l’Algérie. Certains préfèrent rester au pays pour exercer au niveau des feux tricolores de la capitale ou à des endroits stratégiques comme le rond-point Maurice Delens. Là, les usagers peuvent constater la présence de personnes bien portantes, principalement des femmes trimbalant des enfants ou des nourrissons au dos, qui se partagent « le service » avec ceux présentant des handicaps physiques. Chacun se débrouille selon ses idées ou son savoir-faire.
Il faut noter que dans ce fief des mendiants professionnels, la méthode d’approche est différente selon que la cible est un Nigérien, un expatrié africain ou un blanc. Beaucoup d’entre eux disposent de plusieurs années d’expérience. Beaucoup d’observateurs les reconnaissent pour les avoir connus depuis leur tendre enfance. « J’ai 30 ans d’expérience. Normalement, si c’était à la fonction publique, je serais à la retraite », racontait, il y a plus de dix ans déjà, un mendiant, encore en activité. Nombreux parmi ces « cadres professionnels » de la mendicité disposent de leurs propres maisons cédées en location mais continuent de dormir à la belle étoile ou dans des abris de fortune.
Aux côtés des mendiants professionnels, on retrouve des débrouillards, qui se distinguent de par leurs idées dans l’exercice de « leur fonction ». « Il s’agit des personnes qui circulent dans les mosquées ou dans les concessions des personnes nanties ou dans celles de certains oulémas », témoigne Oustaz Moctar Ousmane. « Des individus qui se confectionnent des caisses, qui s’habillent comme des vrais marabouts et mendient de mosquée en mosquée à la recherche des sous soi-disant pour construire une mosquée. Mais qui se retrouvent dans un lieu isolé pour se partager l’argent collecté », regrette-t-il précisant avoir été témoin d’une telle scène dans un quartier de la capitale.
Dans cette catégorie, tout comme dans la catégorie des mendiants professionnels, les femmes ne sont pas en reste, les unes plus audacieuses que les autres et dont le seul but est de s’attirer la pitié de leurs victimes. Tous les moyens sont bons : certaines exposent des enfants qu’elles présentent comme des orphelins, d’autres demandent à manger tandis que d’autres mendient un complément pour emprunter un taxi.
Une autre frange de mendiants plus évolués, bien habillés, fréquentent les services, font leur ‘raquette’’ dans les bureaux auprès de travailleurs connus ou non.
En somme, la mendicité est devenue une pratique coutumière et des individus ont choisi de vendre leur dignité pour vivre aux dépens des autres.
Encadré
Quelques mécanismes de prise en charge des démunis en islam
L’islam a créé un mécanisme opérationnel de prise en charge qu’est la « Zakat ». Quatrième pilier de l’islam, c’est à l’Etat qu’il incombe de la collecter. Selon l’Imam Ali Hamouda Ben Salah, la zakat doit être répartie entre ceux qui en ont vraiment besoin, en premier lieu les pauvres et les indigents, même si on doit tenir compte des six autres bénéficiaires de l’aumône légale tels que mentionnés au verset 60 du chapitre 9 (at-Tawba) du Coran. L’infirme, ou toute personne dans l’incapacité de travailler, (vieillard, aveugle, invalide etc…) a droit à de quoi subsister toute l’année. Cette part, pour des questions pratiques, peut être répartie en mensualités, comme le traitement fait aux retraités et pensionnaires. Et sans être dans le complet dénuement, les nécessiteux, commerçants soient-ils, agriculteurs, fonctionnaires, ou ouvriers, ont leur part de zakat en vue de les aider à améliorer leur situation et à participer à la prospérité générale de la communauté.
En outre, les occasions, pour inciter ou même obliger parfois le musulman à venir en aide à son prochain, sont nombreuses. C’est le cas, selon toujours Imam Ben Salah, d’un homme qui qui viole un son serment et qui se retrouve de facto obligé de nourrir dix pauvres, pendant un jour, de ce qu’il mange lui-même en famille habituellement ; c’est le cas de celui qui est dans l’incapacité d’accomplir le jeûne du Ramadan, pour cause de maladie incurable ou de vieillesse, qui doit, en compensation nourrir pour chaque jour un pauvre ; c’est aussi l’exemple du pèlerin qui manque à une obligation rituelle au cours de son hadj qui est tenu d’expier sa faute en immolant une bête dont la viande est exclusivement réservée aux pauvres. Par ailleurs, une aumône légale (zakat al-fitr) destinée aux nécessiteux est prescrite à la fin du jeune du mois béni de Ramadan. La fête du sacrifice (consacrant la fin du Hadj) – tabaski – est aussi une occasion d’être large envers les pauvres par la distribution de la viande de l’immolation d’une bête par celui qui en a les moyens. Si une personne est incapable de subvenir à ses besoins, l’Islam prescrit à son voisin fortuné de lui venir en aide, de même qu’il impose au fils d’entretenir son père, et à celui-ci de dépenser, si la situation l’exige, pour son fils. En outre, l’Islam a institué le système de Waqf qui concerne des biens ou revenus immobiliers (ou autres) alloués à des objectifs charitables.
Malan Abdou, Alwassatiyah Niger