Niger Société/La débrouille des laissées-pour-compte : à la rencontre des femmes de la foire d’empoigne de feuilles fraîches de Moringa du rond-point Saguia...
Mots clés : veuves, orphelines, foire d’empoigne, feuilles cuites de moringa, quartier Saguia. Nul besoin d’aller dans les profondeurs des lazarets pour prendre les pools de la pauvreté qui côtoie le luxe insolent de notre capitale. Très chargée d’émotions est cette foire d’empoigne de feuilles fraîches de Moringa animée, 7 jours sur 7, tôt, chaque matin, par ces braves femmes à moins d’une dizaine de mètres du rond-point Saguia !
Niamey, 5ème arrondissement communal. Jeudi, 14 novembre 2024. Dans mon exercice quotidien de marche, je dévalais le pont reliant les quartiers Kirkissoye et Saguia dans le sens de mon domicile situé carrément en hauteur lorsque l’écran de mon téléphone portable de marque TECNO indique 6h30. C’est, encore, le petit matin. Dans cette demi obscurité, je remarque, comme les autres jours précédents, un attroupement de femmes, environ une vingtaine, tous âges confondus, agglutinées, non loin du rond-point Saguia, en direction de la gare de Say, les unes marchandant avec deux motards les contenus de leurs chargements, les autres, guettant le moindre mouvement d’engins à deux roues, dans l’espoir de trouver le ravitaillement journalier. En effet, à cet endroit et à pareil moment se tient une foire d’empoigne de feuilles de moringa qui ne dure que quelques minutes. Pas au-delà de 7h30, en tout cas ! Car, une fois franchie cette heure de la journée, la circulation interurbaine intense en ce lieu réclame son passage, mettant ainsi fin à ce marché occasionnel.
Ce qui frappe, à première vue, dans cette foire d’empoigne, c’est la présence de vieilles personnes et d’adolescentes. Elles ne sont pas censées être là, à cause de leur vulnérabilité, mais plutôt au lit ou à des tâches plus souples.
Pour assouvir davantage ma curiosité, flair du journalisme aidant, je tombe pile sur Fatsima, habitante du quartier Saguia, septuagénaire qui me conforte dans ma conviction, qu’à cet âge, il n’y a aucun plaisir à tirer d’une telle activité pour en faire une passion. ‘’Mon fils, je n’ai pas d’autre choix que de faire ce petit commerce (vente de feuilles cuites de Moringa), sinon tes enfants (ses petits-fils et petites-filles) vont mourir de faim’’, répond-elle à ma question un peu bête de savoir ce que fait Mémé à cette place.
Ému par ses propos, je mis ma main dans ma poche droite et sortit un billet de 2 000 FCFA que je lui tendis en guise de contribution à la charge de sa famille. Alors, sans rien demander, Grand-mère s’ouvrit à moi me narrant son histoire et sa situation actuelle : qu’il y a une vingtaine d’années son époux mourut lui laissant la charge d’une dizaine d’enfants à nourrir ; que par manque de soutien et de moyens, aucun de ses progénitures n’a pu aller plus loin que le collège d’enseignement général ; et qu’actuellement la charge de plus d’une trentaine de personnes que compte sa famille pèse sur elle et son fils ainé, maçon bricoleur, à revenus très limités, le reste des rejetons étant cloitré à la maison, à ne rien faire. Alors voilà veuve Fatsima, au crépuscule de sa vie, dans la ‘’fonction’’ de chef de famille.
Dans ce même rôle, se retrouve Nadiya, la dizaine d’années dépassée, à peine. C’est elle-même qui me raconte sa leçon de vie après quelques hésitations. Elle, n’a jamais connu son père, ce dernier ayant rendu l’âme, quatre mois après sa naissance. Quelques années plus tard, sa mère, victime d’une maladie de cécité, perd la vue. Raison pour laquelle elle fut mise à la porte par son second époux qui refuse de prendre en charge une personne condamnée à vie, à ne rien faire et un enfant qui n’est pas le sien. Comme Dieu ne laisse pas mourir les oiseaux du ciel, à plus forte raison nous, les hommes, Nadiya et sa pauvre mère furent recueillies par un de ses oncles paternels résidant au quartier Kirkissoye qui leur offrirent gratuitement un abri de fortune dans sa concession, quitte à elles de se débrouiller pour leur pitance quotidienne. Qu’en sera-t-il de son école ? Pas un seul jour de sa vie, elle n’a connu une ambiance de classe. Elle ne connaît que celle d’une cour de récréation, tenant sa petite place de vendeuse de feuilles cuites de moringa dans l’école primaire contiguë à son domicile familial.
Derrière le visage de chacune de ces femmes animant cette foire d’empoigne se cache une Fatsima ou une Nadiya, chacune avec son histoire chargée de souffrances, de peines, de douleurs et d’émotions. Pour Lobbo, la trentaine, c’est la malédiction de trois mariages ratés desquelles elle hérite cinq enfants dont trois présentement à sa charge. Pour Nana Assita, 23 ans, fille-mère d’un garçon de 7 ans, ce fut une erreur de jeunesse conclue par une grossesse en 4ème de collège qui mit fin à son aventure scolaire compromettant ainsi l’avenir d’une brillante élève. Pour Hadjo, 46 ans, cette activité n’a jamais été une nécessité, son époux, le genre exemplaire, s’occupant bien d’elle et de ses enfants, mais plutôt une simple alternative à l’oisiveté. Au fil temps, elle y découvre tout l’intérêt, les revenus engrangés lui permettant de faire face à des dépenses personnelles (achats vestimentaires, contributions aux mariages, etc.) et de contribuer à des charges familiales non négligeables (achat des tenues et autres fournitures scolaires pour les enfants…)
Cet échantillon, à l’exception du cas de Hadjo, nous donne le profil dominant de ces femmes ‘’affairées’’ autour des feuilles de moringa : veuves d’un âge avancé, adolescentes orphelines sans la moindre instruction, filles mères très tôt déscolarisées. Leur dénominateur commun : le poids de lourdes charges familiales.
Que font les pouvoirs publics pour cette catégorie de citoyens vulnérables ?
‘’Je vais vous dire la vérité. Nos moyens sont très insuffisants et ne permettent pas de prendre en charge les personnes en situation de vulnérabilité. Les rares soutiens dont elles bénéficient le sont en réponse à des situations exceptionnelles comme les inondations, les incendies, etc. ; et, le plus souvent, l’assistance caritative dont elles bénéficient provient d’organisations non gouvernementales et associations nationales ou internationales humanitaires ’’ ; nous souffle un agent communal de Niamey sous le couvert de l’anonymat. Affectations budgétaires sensibles au genre, zéro ! Telle est, malheureusement, la réalité dans la gestion des collectivités décentralisées.
A un niveau plus élevé, c’est à dire des institutions publiques régaliennes en matière d’assistance sociale, notamment les ministères en charges des Affaires Sociales et de l’Action Humanitaire, des directions entières sont dédiées à la prise en charge des personnes en situation de vulnérabilité avec des véritables programmes généreux, mais ce ne sont là que des nobles ambitions écrites qui resteront lettres mortes dans les tiroirs d’une administration étatique aux moyens dérisoires. Les droits de l’homme, le devoir sacro-saint de protection et de soutien des citoyens par l’État demeurent des grands mots pour alimenter de beaux discours de ‘’décideurs’’ politiques.
Fatsima, Nadiya, Lobbo, Assita et toutes leurs semblables interpellent, au-delà des pouvoirs publics, la société dans son ensemble. Où est passée la solidarité entre humains quand, de surcroît, la religion la plus répandue ici qu’est l’Islam, dans sa réglementation de vie, réserve une place de choix à la femme et en fait une véritable reine ? ‘’C’est la pauvreté qui nous rend si durs, si individualistes et si insensibles’’, nous fait observer, au détour d’une conversation, un voisin du quartier à qui nous avions rapporté le cas particulier de Nadiya. Il n’a pas tort ! Aussi, faut-il ajouter à ce constat amer, l’observation tout à fait pertinente de Hassane. T, sociologue qui relève la faillite des prêches et sermons de vendredi qui occultent des thématiques telles que la solidarité humaine et le devoir recommandé, dans la Sounnah du Prophète (PSL), à la Oumma (communauté musulmane) de prendre en charge ses membres vulnérables ; la vulnérabilité étant définie en Islam, d’après les précisions du prédicateur Mounkaïla. B, par al’fakir (personne dans l’incapacité de couvrir ses besoins de subsistance dans l’année) et al’miskin, (personne dans l’incapacité de couvrir ses besoins de subsistance journaliers.
Le Hérisson