Mariage des enfants au Niger : L’engagement d’un chef coutumier pour mettre fin au phénomène
Le corps frêle, le visage ridé tant par l’âge que le poids de la responsabilité, Elhadji Mamane Rabo a gardé son sourire empreint d’une autorité certaine. Le sexagénaire était assis en compagnie de ses proches collaborateurs avec un message « plus jamais de mariage d’enfants à Bargaja». Sa motivation : il la tire selon ses dires, de son statut de père, puis de chef du village de Bargaja.
Les filles adolescentes de cette contrée, située à environ sept (7) kilomètres de Madarounfa, dans la région de Maradi, font face à de nombreuses privations de leurs droits, notamment le mariage des enfants. Dans ce village, il n’était pas rare qu’une fille d’à peine douze (12) ans soit donnée en mariage. Mariama, 17 ans, son fils au bras, se souvient de la façon brusque dont elle est passée d’enfant à femme responsable de foyer. Elle était âgée de 13 ans seulement. Aujourd’hui, après trois (3) grossesses, dont un seul enfant vivant, elle évoque ses souvenirs, le regard perdu et la voix pleine d’amertume. Son regret, c’était de ne pas avoir dit « non » quand il fallait. Elle se tient aux côtés de ses jeunes sœurs menacées par cette pratique.
Le mariage d’enfants est interdit presque partout dans le monde
Deux des accords relatifs aux droits de l’homme les plus largement approuvés au monde, à savoir la Convention relative aux droits de l’enfant (CRC) et la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), condamnent le mariage d’enfants. Ensemble, ces traités ont été signés ou ratifiés par tous les pays, excepté un.
Certaines législations nationales permettent néanmoins des interprétations différentes de ce principe reconnu. Beaucoup de pays autorisent des exceptions conformément au droit religieux ou coutumier ou lorsque l’accord parental est donné.
C’est pourquoi pour venir à bout du mariage d’enfants, de nombreux changements sont nécessaires, notamment le renforcement et l’application des lois visant à lutter contre cette pratique. Il est également indispensable de réduire le fossé des inégalités hommes-femmes.
Par ailleurs, il est primordial de donner aux jeunes, les capacités de défendre leurs propres intérêts et leurs droits. Cela signifie qu’ils doivent pouvoir recevoir les bonnes informations sur leur santé sexuelle et reproductive et sur leurs droits.
Cela peut sembler anodin, mais de telles informations peuvent changer une vie. Lorsque les jeunes plus vulnérables sont dotés de ces connaissances, ils sont à même de défendre leurs intérêts, voire de persuader leur famille d’annuler ou de reporter les fiançailles.
Du haut de ses douze (12) années de vie, Najaâtou, elle, a su dire « Non » au mariage. Grâce au savoir acquis à « l’espace sûr » du village, elle connait les dangers liés au mariage à son âge. « Je me suis rendue chez la mentor pour l’informer du projet de mes parents qui, sans tarder, a rendu visite à ces derniers. Cette première rencontre fut infructueuse car fâché, mon père m’a crié de la suivre si cela me tentait mais sous son toit, je dois me résoudre à sa volonté. Pire, les punitions furent multipliées par deux voire par trois par la suite », raconte la jeune fille, tout en jouant avec un bout de son voile. Le sort de cette fillette semblait être scellé quand le chef du village avisé par la mentor se rendit chez ses parents. Après moult discussions, le résultat réjouit l’enfant. Elle n’est plus sous la menace d’une union maritale à laquelle elle n’était pas sûre de comprendre grand chose.
Sauvée par « l’espace sûr » et le chef du village, Najaâtou a conscience que d’autres filles au Niger n’ont pas eu sa chance. Plus de connaissances et l’engagement d’un chef coutumier peuvent changer le regard de toute une communauté et Elhadji Mamane Rabo l’a compris. Ce qui lui vaut la gratitude des femmes de ce village. «Nous remercions l’UNFPA pour tous ses efforts, mais les femmes se doivent de faire une mention spéciale à Elhadji Mamane Rabo, chef du village de Bargaja », s’est exclamée Hadiza Younoussa, une dame de trente-huit (38) ans avant de croquer un morceau de cola.
L’implication des chefs traditionnels permettra sans nul doute la réduction du taux de mariage des enfants au Niger où, selon l’EDSN-MICS 2012, 24% des filles de 15 à 19 ans ont été mariées avant l’âge de 15 ans.
Mais en attendant que tous s’y engagent, des milliers d’enfants continuent à être mariés et leurs espoirs se meurent avec leurs enfances volées.
Oumou Gado, Niger Inter