Une des éminences grises du président Ghazouani, le chef de la diplomatie mauritanienne, Mohamed Salem Merzoug, explique à APA les raisons de la récente réélection du président sortant.
Nouakchott, envoyé spécial : Lemine Ould M. Salem
Quand dans une dizaine de jours, dans la grande salle du Palais des Congrès de Nouakchott, le président du Conseil constitutionnel après avoir solennellement proclamé son élection pour un second et dernier mandat présidentiel aura invité Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani à prêter serment, puis arborer le Grand Cordon du Mérite national qui indique son entrée officielle en fonction, ce dernier devrait encore se livrer à un dernier exercice : le discours d’investiture. Serait-ce celui des grandes promesses ? Sans doute. Serait-ce celui du bilan des cinq années qu’il vient de passer à la tête du pays ? Possible. Mais Ghazouani, réélu dès le premier tour avec 56% des voix, aura-t-il un mot, une pensée, pour ses adversaires malheureux au scrutin du 29 juin dernier ?
Excepté, le bouillant Biram Dah Abeid, sans conteste l’incontournable figure de la scène politique locale ces dix dernières années, qui évoque un « Hold-Up électoral » -, aucun n’a traîné les pieds pour « féliciter » le chef de l’Etat sortant, sinon « prendre acte » des résultats préliminaires proclamés par la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), l’instance officielle en charge des opérations de vote.
« Président de tous les Mauritaniens »
« S’il y a un trait de caractère chez le président Ghazouani sur lequel les Mauritaniens sont unanimes, ses partisans comme ses adversaires, c’est bien l’obsession du dialogue et de l’apaisement de la vie politique nationale. L’unique candidat n’ayant pas encore admis la victoire du président Ghazouani, lui a d’ailleurs souvent publiquement admis cette qualité. Durant les cinq années de son premier mandat, le pays n’a connu aucune crise, aucune tension, ni incident politique. Aucun opposant ne peut se plaindre d’avoir été inquiété. Le fait est si rare dans l’histoire politique du pays, qu’il est difficile de ne pas le souligner. D’ailleurs, le premier réflexe du président quand il a été déclaré réélu selon les résultats préliminaires, a été de promettre qu’il s’engage à rester le président de tous les Mauritaniens, qu’ils aient voté pour lui ou pas », plaide dans un entretien exclusif avec Apa News dans sa résidence de Nouakchott Mohamed Salem Merzoug, ministre des Affaires étrangères et une des éminences grises du système Ghazouani.
En Afrique, les candidats du pouvoir à une élection étant souvent les grands favoris, surtout quand l’opposition se présente en rangs dispersés – comme ce fut le cas lors de cette présidentielle en Mauritanie -, les chances de Ghazouani de se voir reconduire à la tête de la Mauritanie étaient tout sauf minimes.
Mais comme en 2019 lorsque, en position de dauphin désigné de son prédécesseur, il avait pour la première fois brigué les suffrages de ses compatriotes, son nouveau triomphe n’a pu éviter d’être entaché par des troubles post-électoraux.
« Cliché en noir et blanc »
Alors qu’il y a cinq ans, les incidents étaient limités à quelques brèves échauffourées isolées entre jeunes manifestants de l’opposition et forces de l’ordre dans la capitale, Nouakchott, cette fois on déplore trois ou quatre morts survenues dans des émeutes en lien avec la présidentielle. Les faits se sont déroulés à Kaédi, grande ville du sud du pays majoritairement habitée par la communauté hal-pular -(Peuls et Toucouleurs) et où l’opposant Biram Dah Abeid est particulièrement populaire.
« Certains peinent à lire la vie politique dans les pays africains en dehors des critères de l’ethnie, de la tribu, de la religion ou de la couleur de la peau. Dans le cas de la Mauritanie, c’est toujours le fameux cliché en noir et blanc qui est appliqué. Et les événements de Kaédi n’ont, hélas, pas échappé à cette vision », s’indigne le ministre.
« Aucune personne arrêtée, y compris celles malheureusement décédées à l’occasion des émeutes ayant touché cette ville dans la nuit du 1er au 2 juillet, n’a été interpellée en raison de son origine communautaire. Une mort est toujours de trop. Les décès survenus à Kaédi sont déplorables et les autorités n’ont pas attendu pour les regretter », insiste-t-il.
Dans un communiqué publié mardi 2 juillet, le ministère de l’Intérieur a donné sa version des circonstances dans lesquelles ces événements sont intervenus. Selon lui, il s’agissait d’une opération de maintien de l’ordre particulièrement complexe, survenue à la faveur de violentes manifestations déclenchées tard dans la nuit, avec « effet de surprise » et qui ont débouché sur des actes de « pillage et de vandalisme».
« Deux éléments des forces de l’ordre ont été gravement blessés, dont un a été admis en soins intensifs. Les émeutiers étaient en nombre élevé et les personnes arrêtées ont été mises en détention en fonction des circonstances du moment. Une commission d’enquête a d’ailleurs été immédiatement mise en place et la justice a été saisie. Les conclusions de l’enquête et les suites judiciaires qui seront données à ces malheureux événements seront publiquement connues dès que cela sera possible. Dans une volonté d’apaisement, les autorités ont libéré toutes les personnes arrêtées lors de ces incidents », promet celui qui, avant la diplomatie, était le patron du ministère de l’Intérieur.
Pour un président sortant, dont l’entourage misait sur un score tournant autour d’au moins 60% des suffrages au premier tour, arriver au final avec 4 points environ en deçà d’un tel objectif n’est-il pas un peu gênant ?
« Le seul objectif était la victoire sans attendre un second tour. Et nous l’avons obtenue. L’essentiel est de pouvoir poursuivre le train de réformes que le président avait initié lors de son premier mandat : une gouvernance vertueuse, l’ancrage de la culture du dialogue politique, l’aide aux plus démunis et une politique d’emploi axée sur la jeunesse. Et croyez-moi, ce sont des raisons suffisantes pour expliquer notre victoire », résume le ministre.
L’exemple sénégalais
Que pense-t-il des 22% obtenus par le principal adversaire de son candidat, Biram Dah Abeid, soit près du quart des électeurs ayant pris part au scrutin du 29 juin ? « Ils traduisent, sans aucun doute, des attentes et des besoins légitimes d’une partie de nos concitoyens. En déclarant qu’il promet d’être le président de tous les Mauritaniens, Ghazouani a justement voulu faire comprendre qu’il accorde une importance particulière à ces compatriotes qui n’ont pas voté pour lui. C’est ainsi qu’on installe un système politique stable », explique cet universitaire plusieurs fois ministre depuis près de trente ans.
La dernière présidentielle étant intervenue quelques mois après l’alternance exceptionnelle au Sénégal voisin, où un candidat « hors-système », Bassirou Diomaye Faye, a été triomphalement élu face au candidat du pouvoir, un scénario similaire a fait rêver nombre d’esprits en Mauritanie.
« Aucune expérience électorale, fut-elle la plus exemplaire, ne peut être plaquée d’un pays à un autre. Chaque pays a ses propres lignes de démarcations politiques. Ses propres rapports de forces entre les acteurs politiques. Les opinions n’ont pas forcément les mêmes urgences. La seule chose probablement partagée entre tous est d’avoir accès à certains services essentiels et à un cadre de vie décent. Sur ce point, le bilan du premier mandat du président Ghazouani est déjà édifiant et ses promesses pour les cinq prochaines années sont largement rassurantes, en particulier pour la jeunesse dont il avait fait le thème central de sa campagne électorale », jure Merzoug.
En Mauritanie, où 70% de la population a moins de 35 ans, depuis 2023 plus de 22 000 jeunes ont quitté le pays à destination des Etat-Unis, la plupart contraints de braver d’énormes risques en traversant plusieurs pays d’Amérique du Sud pour tenter le passage à travers le mur séparant les frontières mexicaine et américaine.
« Les Etats-Unis n’attirent pas que les Mauritaniens. Cette ruée vers l’Amérique concerne beaucoup de pays africains et même asiatiques. Ici, ce n’est pas le travail qui manque et les perspectives économiques sont très bonnes selon l’avis unanime des experts », soutient le ministre, faisant allusion à l’exploitation attendue avant la fin de l’année en cours d’importants gisements de gaz, dont une partie en partage avec le Sénégal voisin.
Avant de briguer les suffrages de ses compatriotes pour la première fois il y a cinq ans, Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani a fait une longue carrière militaire. Formé à l’Académie militaire royale de Meknès, au Maroc, cet ancien aide de camp à la présidence de la République, passé par les renseignements militaires, a été directeur de la Sûreté nationale, chef d’état-major des armées, ministre de la Défense, avant de démissionner pour, enfin, se porter candidat à la présidence en 2019.
L’exception mauritanienne
Dans un pays naguère cible récurrente des groupes armés islamistes basés dans le désert du Mali voisin, « le choix sûr », selon sa récente campagne électorale, est considéré comme l’artisan principal de l’actuelle politique sécuritaire qui fait de la Mauritanie, qui n’a pas connu d’attaques jihadistes depuis 2011, une exception dans un Sahel largement ravagé par les groupes armés islamistes. « A partir de 2005, notre pays était devenu la principale cible des groupes jihadistes installés dans la sous-région. Il a fallu réformer profondément notre système sécuritaire et notre armée pour faire face à cette menace. D’abord à la police, puis à la tête de l’armée, Ghazouani y consacre toute son énergie. En à peine cinq ans, le pays a été sanctuarisé. Il est aujourd’hui un des plus sûr de la sous-région », se félicite Merzoug.
La Mauritanie abritant le site de G5 Sahel, Ghazouani, actuellement président de l’Union africaine (UA), a assisté, impuissant, à la mort clinique de cette organisation présentée à sa création en 2014 comme le cadre idéal de mutualisation des moyens entre les pays sahéliens pour faire face aux défis du jihadisme et du développement. Suivant les pas du Mali, le Burkina Faso puis le Niger s’en sont retirés, laissant le Tchad seul avec la Mauritanie comme membres de l’organisation.
Notoirement mal perçus à Nouakchott, ces retraits successifs ont-ils été digérés par les autorités mauritaniennes ? « Quelle que soit la forme du cadre institutionnel, nos pays sont condamnés à travailler ensemble pour faire face à certains défis communs. Et c’est ce que nous continuons à faire soit de manière bilatérale soit dans un cadre plus large », se contente le chef de la diplomatie de Nouakchott.
Le Maroc: une solide histoire de sang et de religion
Que pense-t-il de la proposition marocaine de réunir les pays sahéliens dans le cadre d’une Initiative Atlantique destinée à offrir une façade maritime aux pays du Sahel enclavés lancée à Marrakech le 23 décembre 2023 et à laquelle son pays n’a pas participé ?
« La solidarité et l’intégration entre pays africains est une constante de la diplomatie mauritanienne, de surcroit quand il s’agit de notre voisinage. Contrairement à ce que pourraient dire les mauvaises langues, la Mauritanie et le Maroc entretiennent des relations fondées sur des bases solides, des liens de sang et de religions, ainsi que sur des relations historiques qui les prédisposent à davantage de renforcement et de de développement. En plus, la volonté claire et nette des dirigeants des deux pays va dans ce sens et cela coïncide avec les intérêts très imbriqués des deux peuples », explique Merzoug.
Jusqu’ici, unique chef de l’Etat en Mauritanie arrivé au pouvoir après une transition entre deux présidents élus, Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani a succédé à un autre ancien général : Mohamed Ould Abdel Aziz auteur d’un coup état en 2008, avant de se faire élire en 2009, puis réélire en 2014. Longtemps amis intimes, les deux hommes se sont brouillés au lendemain de leur succession au pouvoir. Arrêté en 2020, Aziz qui est, aujourd’hui, en prison après sa condamnation pour enrichissement illicite accuse son successeur et ancien ami de trahison. « C’est une histoire sur la quelle la justice s’est prononcée. Le président Ghazouani y est étranger », défend le ministre de Affaires étrangères entre d’interminables coups de fil, dont une bonne partie en lien avec la cérémonie d’investiture de son patron prévue le 2 août.
LOS/Sf/ac/APA