Discours de S.E.M. Mohamed BAZOUM, Président de la République du Niger, au Sommet pour Un Nouveau Pacte Financier Mondial qui se déroule les 22 et 23 juin 2023 à Paris, en France.
L’enjeu pour moi, président d’un pays financièrement pauvre mais non dénué de ressources naturelles et même pourquoi pas humaines, est d’exprimer une vision stratégique conciliant les agendas précédents et les objectifs de développement. Dans le cadre des objectifs des Agendas qui sont bien définis, il s’agit d’obtenir dans le consensus visé par le Sommet, un accord de principe pour une certaine flexibilité et des marges de manœuvre permettant d’atteindre les objectifs régionaux et locaux de développement tout en respectant les contraintes globales.
Excellences, Mesdames et Messieurs, Permettez-moi ici d’apporter un témoignage personnel sur le changement climatique et ses impacts. Tout au long de ma vie, j’ai vu une succession de sécheresses privant le cheptel de pâturages et les paysans de récoltes. J’ai vu la terre rougie, des cheptels décimés, des régions livrées à la famine et des cohortes d’exodants grossir les bidonvilles. J’ai observé la paupérisation de régions entières défigurées par la désertification.
Le pastoralisme est remis en cause par l’amenuisement de la biodiversité, et les meilleures herbes dont vivaient les animaux ont disparu, laissant la place aux herbes les plus résilientes, dénuées pratiquement de feuilles, sans toute forme de valeur nutritive. Il est loin, au Sahel, le temps où une vache se reproduisait en moyenne chaque année tout en produisant du lait pendant neuf mois. La règle aujourd’hui c’est qu’elles se reproduisent tous les deux ans pour une production de lait réduite de moitié et qui ne dure véritablement que quelques petits mois. C’est cela qui explique que le Sahel n’est plus synonyme que de sécheresse mais aussi et surtout, malheureusement de violence. La sécheresse a généré la violence comme sa conséquence naturelle. Ce sont là en grande partie les effets en chaine du changement climatique, qui est un fait observable par chacun d’entre nous.
La crise migratoire et la crise sécuritaire alimentées par les crises climatique et économique et la démographie sont notre réalité quotidienne que la communauté internationale se doit de regarder avec discernement et responsabilité. Dans mon pays, la démographie non maîtrisée est le facteur prépondérant alimentant la pauvreté et sur lequel se greffent les autres crises, migratoire, sécuritaire et environnementale notamment. En accédant à l’indépendance en 1960, le Niger comptait trois millions d’habitants. Aujourd’hui il en compte 26 millions. Avec le taux actuel de croissance nous serons autour de 70 millions à l’horizon 2050, c’est-à-dire demain.
Sans politique intelligente de gestion démographique, tous les efforts de développement et d’éradication de la pauvreté seront vains. Notre taux de croissance actuel reflète le fait que 77% des filles se marient avant leurs 18 ans, et 28% se marient avant leur quinzième anniversaire. L’unique levier que nous pouvons actionner pour faire face à cette situation est celui de l’éducation et de la formation des jeunes, des filles en particulier, qui permet de contrôler la démographie, de créer des emplois et de faire bénéficier du dividende démographique au passage.
Or l’éducation coûte très cher, mais c’est le prix à payer pour que, dans les pays pauvres et du Sahel notamment, nous puissions faire face à la situation à laquelle nous sommes confrontés, sans quoi nous n’arrêterons jamais de parler de migration illégale, de violence, d’empoisonner le débat politique en Europe et ailleurs, et de vivre les affres des situations auxquelles nous sommes confrontés aujourd’hui. Il s’agit seulement de penser à ce qui se passe au Soudan pour prendre la mesure des dangers auxquels nous sommes exposés, pas qu’en Afrique, partout dans le monde aujourd’hui. Excellences, Mesdames et Messieurs, Ce que je viens de dire montre très clairement que le Sahel est une des zones de la planète qui auront été les plus perturbées par les effets du changement climatique. Il faut particulièrement prendre garde à ce qu’elle ne soit victime des programmes conçus dans le cadre de la transition climatique. Notre débat sur ces questions est un débat qui reste polémique. C’est à ce titre que, comme tous les autres pays pauvres, nous serons opposés à toute politique visant à nous priver du recours aux énergies fossiles contenues dans notre sous-sol. L’unique solution acceptable est celle qui permet d’atteindre les objectifs des différents agendas à la fois, se fondant par conséquent sur la solidarité et la complémentarité bien comprises, rendues effectives par une politique de péréquation généralisée. La mise en œuvre du nouveau pacte passera par la construction d’une boite à outils audacieuse et innovante en termes règlementaires juridiques et en ingénierie financière.
Dans cette boite à outils, les instruments financiers existants doivent être améliorés, d’autres créés pour mieux partager les risques et les résultats en tenant compte des facteurs et des contraintes climatiques et environnementales, ainsi que d’autres externalités dans la valorisation et la couverture des risques. Elle comprendra en particulier, la monétisation des quotas carbone et des DTS. Plus spécifiquement, le nouveau pacte doit rendre concrète et opérationnelle l’aide prévue par les Accords de Paris et de Glasgow en faveur des pays pauvres, qui attendent d’être mis en application. Au-delà du Niger, nous avons en Afrique une population nombreuse et en forte croissance. Nos besoins pour financer les infrastructures et les services de base dans l’énergie, l’eau, l’alimentation, la santé, les transports, les nouvelles technologies et l’éducation sont impératifs et incompressibles. Nos besoins fondamentaux doivent être satisfaits avant toute décroissance, car comme on le dit chez nous, une vache qui a bu et une vache assoiffée ne marchent pas ensemble. Il y a pour nous donc une urgence à court terme dans l’urgence globale, celle de mobiliser les fonds pour répondre à notre impératif de développement et à nos défis démographique et sécuritaire. Il faut à cet effet notamment accroître les capacités de financement des banques multilatérales de développement en en augmentant les capitaux afin d’avoir un effet de levier pour accroître leurs capacités de financement. Je voudrais insister en particulier sur la nécessité de mobiliser des ressources plus importantes au profit de l’IDA.
Les banques multilatérales doivent aussi bénéficier des réallocations des DTS qui sont jusque-là inutilisés. Il faut faire profiter des pays comme le Niger – M. Stern vient de nous le rappeler – des instruments de garantie des financements auxquels nous pouvons prétendre et réduire les primes de risques excessives des investisseurs, si nous voulons intéresser le secteur privé à ce combat contre le changement climatique dans les pays pauvres. Les coûts prohibitifs des capitaux les ont jusqu’ici mis hors de notre portée, malgré les recommandations formulées à l’occasion de toutes les rencontres que nous tenons. Or ces coûts sont paradoxalement en forte augmentation et ne reflètent pas souvent les fondamentaux macroéconomiques de nos pays.
Il y a, même pour ce sommet, M. le Président Macron, de grands risques que nous continuions dans les incantations. Or, je pense que nous avons déjà organisé trop de rencontres pour que nous puissions indéfiniment répéter les mêmes choses. Il s’agit donc de passer à l’action. Excellences, Mesdames et Messieurs, Nous avons une planète, et il n’y en a pas d’autre de remplacement, nous devons le savoir. Et nous sommes à un point d’inflexion historique. A l’échelle mondiale, dans cette époque de rupture de modèles et de transitions, les rafistolages et les rustines ne sont plus de mise, nous devons abandonner les dogmes et les certitudes. Embrassons de nouveaux paradigmes, plus conformes à notre réalité qui est faite de dureté insupportable pour certains et de menaces certaines pour tous.
Je vous remercie de votre Attention