Crise AES-Algérie : Le Niger en pole position pour jouer aux bons offices
Niamey peut écrire l’histoire dans la crise qui secoue en ce moment la confédération AES et l’Algérie. Elle est en pole position pour baisser la tension entre les deux parties et écourter l’escalade. Les regards de nombreux observateurs sont pointés en direction du Président de la République, Chef de l’Etat, le Général d’Armée Abdourahamane Tiani. Dans les premières lignes qui suivent, l’état de la situation actuelle.
L’axe Bamako-Alger, à nouveau, perturbé
La normalisation de l’axe Bamako-Alger aura été de courte durée. Voilà les deux voisins sur le point de replonger dans la crise diplomatique, avec cette fois le risque d’étendre leur différend aux deux autres pays membres de la confédération Alliance des Etats du Sahel (AES). Et, tout cela arrive au moment où Alger et Paris sont en train de fumer le calumet de la paix après une brouille qui aura duré 8 mois.
Moins d’un mois après la présentation de ses lettres de créance (c’était précisément le 18 mars dernier) au palais d’Elmouradia (palais présidentiel algérien) sur les hauteurs d’El Bahdja (nom donné à la ville d’Alger à cause de ses bâtiments à l’architecture coloniale et locale d’un blanc étincelant), voilà le Général Mohamed Amaga Dolo, nouvel ambassadeur du Mali en Algérie qui est rappelé par son pays. C’est là, la démarche et la formule consacrées en cas de malentendu diplomatique.
A l’origine du différend, un drone malien abattu par l’armée algérienne
Ce rappel par Bamako de son représentant à Alger fait suite à la chute d’un drone malien abattu par l’armée algérienne. Selon justement la partie algérienne, l’appareil suspect armé a violé son espace sur environ 2 kilomètres tandis que côté malien, on se défend d’être rentré hors de son territoire et on dénonce un acte ‘’prémédité’’. Voilà qui perturbe à nouveau les relations diplomatiques entre Bamako et Alger qui avaient pourtant donné des signes de normalisation en mars dernier après plusieurs mois de froid.
Des anciens points de divergence auxquels vient se greffer un nouveau
Pour rappel, deux points intimément liés divisent l’Algérie et le Mali. Il y a d’une part, l’abandon par les autorités maliennes des accords de paix d’Alger liant l’autorité centrale de Bamako et les irrédentistes du Nord, ce qui n’est du goût de l’Algérie qui rechigne aussi de voir la présence du groupe Wagner chez son voisin. Un danger à ses portes, estime-t-elle. C’est dans ce climat tendu qu’intervient l’affaire du drone malien abattu par l’armée algérienne.
La confédération AES s’y mêle
Revenons à présent événement, à savoir l’affaire du drone malien abattu par la défense algérienne, objet de la nouvelle perturbation de l’axe Bamako-Alger pour noter qu’au-delà du Mali, c’est l’espace dit confédération AES dans son ensemble qui rentre en conflit avec l’Algérie. Solidaires de leur allié malien, le Niger et le Burkina Faso ont également rappelé leurs ambassadeurs accrédités sur les hauteurs d’El Bahdja, tout en partageant les mêmes préoccupations dans un communiqué conjoint AES en date du dimanche 6 avril 2025.
Alger regrette l’attitude de Niamey et Ouagadougou et applique la réciprocité
Réponse du berger à la bergère, Alger, de répliquer à son tour par un communiqué, en date du lundi 7 avril 2025, où elle enfonce le clou, accusant le Mali de violation répétée (3 fois) de son espace aérien et regrettant que Niamey et Ouagadougou se laissent embarquer dans son différend avec Bamako. Réciprocité contre réciprocité, l’Algérie de rappeler aussi ses ambassadeurs au Mali et au Niger et différant la prise de fonction de son nouvel ambassadeur au Burkina Faso.
Pendant ce temps, Alger reprend Paris
Simple coïncidence ou ironie du sort, l’axe Bamako-Alger se dégrade au même moment où l’axe Alger-Paris se normalise après 8 mois de perturbation. Il y a là de quoi faire grincer les dents au sein de la confédération AES où Paris est très mal vue, en raison notamment des relations exécrables entre l’Elysée et les trois régimes sahéliens issus de coups d’Etat militaires. Le réchauffement de l’axe Alger-Paris fait craindre à ces trois régimes-là des manœuvres de déstabilisation de la France via l’Algérie, d’où leur reflexe à faire bloc commun.
Et, le ton ne cesse de monter entre Bamako et Alger
Sur les hauteurs de El Bahdja tout comme sur celles de la ville aux trois caïmans (Bamako), le ton monte. Le soir de ce même lundi 7 avril 2025, Alger visiblement excédée a annoncé la fermeture de son espace aérien au Mali. Et, Bamako de réagir à son tour quelques minutes plus tard par une mesure de réciprocité, sous les regards de Niamey et Ouagadougou qui se retiennent. Du moins pour l’instant !
Crainte de rupture diplomatique totale entre l’AES et l’Algérie…
A l’horizon proche, aucun signe d’un apaisement. Bien au contraire, les mots et expressions employés par les deux parties dans leurs communiqués (celui du 6 avril par le collège des chefs d’Etat de l’AES et la réplique du 7 avril de la partie algérienne) résonnent si durs qu’il faut craindre une escalade dans les jours à venir et au pire des cas une rupture diplomatique totale entre les 3 pays sahéliens et l’Algérie.
…et ses conséquences désastreuses pour les deux parties
Bien entendu, les conséquences seront désastreuses aussi bien pour l’Algérie que le bloc sahélien.
Pour Alger, ce sera l’accentuation de son isolement dans la région et des pertes économiques énormes notamment ses projets gigantesques avec le Niger (méga projet du gazoduc transsaharien, projet pétrolier conclu entre SONATRACH et l’Etat nigérien pour la mise en exploitation du gisement de Kafra). Ceci sans oublier, la montée en puissance de l’influence du royaume chérifien, son ennemi public numéro un qui n’attend que pareille occasion pour mettre pieds dans cette partie sahélienne.
Pour l’AES, notamment le Mali, c’est de voir le territoire de son voisin servir de base arrière pour l’alliance des terroristes d’Iyad Aghali et de ses irrédentistes du Nord qui menacent son intégrité, toute chose contre laquelle il ne peut rien, sinon que de protester ou au pire des cas traduire Alger devant des instances internationales généralement inaudibles ou inactives.
Le Niger, autre voisin de l’Algérie, risque d’être la plus grande perdante de l’espace AES. En effet, Niamey est actuellement sur des grands projets communs avec Alger qui viendraient à être compromis en cas de rupture des relations AES-Algérie sans perdre de vue les risques pour son voisin algérien de réveiller contre lui des velléités de contestations armées. L’Algérie en a cette possibilité et ce ne sont pas des candidats à la rébellion qui manquent comme c’est le cas d’un certain ancien chef rebelle Rhissa Ag Boula qui dit avoir repris le chemin du maquis depuis le renversement du régime démocratique du président Bazoum, en juillet 2023.
Niamey en bonne position pour apaiser la crise plutôt à qu’à l’entretenir
Au regard de ce qui précède, côté algérien, tout comme côté AES, on a plutôt intérêt à baisser le ton et à normaliser très rapidement les relations. A ce sujet, Niamey est très bien positionnée pour jouer un grand rôle. Membre de la confédération AES, donc lié au Mali par une sorte de pacte de sang, le Niger est aussi, aujourd’hui, en bons termes avec l’Algérie. C’est là des atouts que la diplomatie nigérienne doit exploiter pour calmer la tension. Et, elle peut trouver facilement des arguments en faveur de l’une comme de l’autre. Car si Alger, au nom de l’intangibilité des frontières dit être dans son bon droit de défendre son intégrité territoriale contre toute menace extérieure, comme ce fut le cas du drone malien, Bamako l’est aussi et ne peut comprendre ni accepter l’attitude de ce voisin avec lequel elle partage des liens historiques qui accepte que son territoire soit sanctuarisé par ses ennemis. C’est dans ce système de deux équations que Niamey doit trouver la solution. Elle a les compétences pour cela. Le Président de la République, Chef de l’Etat, le Général d’Armée Tiani Abdourahamane doit saisir l’occasion pour nommer un représentant spécial afin apaiser la tension AES-Algérie qui ne profite à aucune des deux parties dans le contexte mondial et régional actuel fait de chocs en tout genre (crise économique, terrorisme, menaces sur le vivre ensemble, risque de conflits inter et intracommunautaires, migration irrégulière, accentuation de la pauvreté, crise climatique, etc.).
Oumarou Kané