Mali : Turbulente fin de transition
Référendum controversé, regain de tension entre les ex rebelles indépendantistes et le régime transitoire, retrait annoncé de la mission onusienne, « rébellion » de Wagner en Russie… Au Mali, à quelques mois de la fin théorique de la période de transition, plusieurs interrogations pèsent sur l’agenda du pouvoir militaire.
Au Mali, le référendum constitutionnel du 18 juin 2023 n’a pas mobilisé les foules. Le changement de Constitution dont la raison d’être fut contestée par une partie de l’opinion et de la classe politique est apparu comme une incongruité initiée par un régime de transition n’ayant pas vocation à inscrire un tel exercice au rang de ses priorités. A moins qu’il ne s’agisse d’une opération opportuniste destinée à servir des objectifs non encore dévoilés. Malgré la faible affluence observée dans les bureaux de vote, l’Autorité indépendante de gestion des élections (Aige) a annoncé un taux de participation de 39,40%. Un chiffre plutôt exceptionnel dans le contexte malien, alors même que les observateurs indépendants avaient estimé la participation à 28% tout au plus. Officiellement, ce référendum s’est conclu par un résultat massif de 97% pour le « oui ». Face à ces chiffres, des opposants ont dénoncé des cas de fraudes et plusieurs irrégularités dans les opérations de vote.
Référendum et départ annoncé de la Minusma
Par ailleurs, force est de constater que ce référendum n’a pas pu se tenir sur l’ensemble du territoire. Emblématique de la fracture territoriale, l’absence de vote dans les zones contrôlées dans le Nord – notamment Kidal et Ménaka – par les mouvements armés ex-rebelles indépendantistes, signataires de l’Accord de paix de 2015. La Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA) et la plateforme du CSP-PSD (Cadre stratégique permanent pour la paix, la sécurité et le développement) ont en effet rejeté l’initiative constitutionnelle en rappelant le blocage actuel du processus de paix. Selon eux, « ce projet de nouvelle Constitution ne prend pas en charge les principales dispositions de l’Accord, et sa mise en œuvre ». Il faut dire que l’Accord de paix se vide de sa substance, à mesure que s’accentue la crise de confiance entre les ex-rebelles indépendantistes et les actuelles autorités de Bamako. Mais alors que ces mouvements armés du Nord ont affirmé que le référendum n’a pas eu lieu dans leurs bastions, l’Autorité indépendante de gestion des élections (Aige) a inclus pour sa part un pourcentage de votants dans ces régions dans le taux de participation. Un tel « conflit de vérités » complique la validité de ce référendum, étant donné que la loi électorale stipule que « la validité d’un référendum est conditionnée par sa tenue sur l’ensemble du territoire national ».
La veille de ce référendum, le 17 juin 2023, le ministre malien des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop, a demandé devant le Conseil de sécurité des Nations unies le « retrait sans délai » de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma). Considérant que cette dernière « semble devenir partie du problème », le ministre a vertement fustigé « l’échec » de cette mission créée en 2013 pour « stabiliser » le Mali alors menacé par une forte poussée djihadiste. Ce nouveau coup d’éclat de la junte présidée par le colonel Assimi Goïta intervient après les multiples manifestations anti Minusma épisodiquement organisées dans le pays par les partisans du régime depuis le début de l’année. Certains observateurs voulaient pourtant croire que les autorités transitoires n’allaient pas franchir le Rubicon. C’est donc chose faite désormais, même si le retrait effectif dispositif onusien ne se fera pas du jour au lendemain et qu’il doit être préalablement soumis à un vote du Conseil de sécurité des Nations unies. Parmi les arguments avancés, celui de « l’échec » de la Minusma, et un autre, désormais répétitif, de la « souveraineté » et de l’improbable volonté des Maliens à « prendre en mains leur propre destin ». Des arguments d’autant plus discutables que le Mali est toujours membre de l’Onu et que plusieurs Casques Bleus et fonctionnaires civils africains des Nations Unies ont payé de leur vie leur engagement dans la Minusma.
A ce propos, l’historique formation politique PARENA (Parti pour la renaissance nationale) a publié un communiqué le 24 juin dans lequel il « encourage les autorités transitoires à poursuivre un dialogue constructif avec le Secrétaire Général et le Conseil de Sécurité des Nations-Unies pour trouver les compromis nécessaires en vue du renouvellement du mandat de la MINUSMA. » L’occasion pour le PARENA de rappeler que « les militaires originaires des pays d’Afrique représentent 55% des 11 676 soldats déployés sous le drapeau de l’ONU, et les policiers africains constituent 62% des 1 588 membres de « UN Police » au Mali… » Et de souligner que « le Mali qui a tant bénéficié de la solidarité de l’Afrique et du monde depuis les débuts de la crise multidimensionnelle en 2012 devrait se garder de s’engager dans la voie d’un isolement croissant en nous coupant des pays frères dont la sollicitude à notre égard ne s’est jamais démentie. »
« Un coup fatal contre l’Accord de paix »
Réagissant à la décision des autorités de transition, les groupes armés du Nord signataires de l’Accord de 2015 ont formellement manifesté leur désaccord à travers un communiqué dans lequel ils affirment que le départ de la Minusma signifierait « un coup fatal porté délibérément contre l’Accord de paix ». Les ex rebelles rappellent que « la Minusma est un acteur clef et une garantie du processus de paix, en tant que membre de la médiation internationale en charge du suivi de l’Accord ». Entre autres attributions, la Minusma, qui préside la Commission technique de sécurité (CTS), veille au respect du cessez-le-feu et des compromis sécuritaires contractés entre le gouvernement et ces groupes armés. Le départ de la Minusma amputerait donc ledit Accord d’une pièce essentielle du fragile équilibre sur lequel repose encore cet arrangement sécuritaire. Alors que certains membres de la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA) signalent que « le retrait de la Minusma rendrait caduc l’Accord de paix de 2015 », d’autres avertissent sans détour qu’en demandant à la Minusma de plier bagage, le régime de transition « se prépare, avec ses alliés russes, à nous faire la guerre ».
Comme pour enfoncer le clou, le pouvoir de transition, moins d’une semaine après la demande du retrait du dispositif onusien du territoire malien, a engagé une action en justice contre ce dernier pour… « espionnage ». Cette accusation se réfère au rapport récemment publié par le Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme de l’Onu, sur la base d’une enquête de la Division des droits de l’Homme de la Minusma. Le rapport met en cause l’armée malienne et des « combattants étrangers » (éléments de la milice Wagner) dans les événements survenus du 27 au 31 mars 2022 à Moura dans le centre du pays, où 500 personnes, au moins, ont été exécutées lors d’une opération antijihadiste. Quelques semaines après ce massacre, le gouvernement malien et la Russie s’étaient opposés à la mise en place d’une commission d’enquête internationale. Pour justifier la plainte des autorités, le ministère public malien a expliqué que l’utilisation de satellites par la Minusma pour les besoins de son enquête équivaut à un acte d’espionnage. Partant, la mission de l’Onu est désignée sans nuance comme « coauteur ou complice de crimes, d’atteinte au moral de l’armée ou de l’armée de l’air, d’utilisation de faux documents et d’atteinte à la sécurité extérieure de l’État ». Des accusations constitutives d’une véritable campagne de diabolisation de la Minusma.
Des élections dans les délais proposés
Le Mali, seul au monde ? Le pouvoir des colonels, en « expulsant » la Minusma, vient donc de poser l’acte le plus déterminant de sa prise de distance avec les instances internationales. Et ce, après l’acte de rupture avec la France, suivi de tensions diplomatiques avec d’autres pays européens impliqués dans la résolution de la crise sécuritaire, sans oublier son retrait spectaculaire de la force conjointe G5 Sahel, ou encore les dissensions avec la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao). Le tout, en l’espace de trois années.
Après le retrait de la force onusienne, la voie serait ouverte pour une gestion à huis clos des questions politiques et sécuritaires par la junte, soutenue par le Groupe Wagner en tant que partenaire unique, voire exclusif. Mais une telle projection pourrait être contrariée par une nouvelle donne qui a surgi au cœur de l’actualité internationale le 23 juin 2023 : l’entrée en rébellion armée de la milice Wagner, sous la houlette de son chef Evgueni Prigojine, contre le ministère russe de la Défense et le Kremlin. Alors que le monstre créé et soutenu par Vladimir Poutine se retourne contre son commanditaire, les régimes africains alliés à Wagner seront amenés à intégrer cette équation singulière dans leur agenda politique.
Les militaires au pouvoir à Bamako, à l’instar de leurs homologues du Burkina Faso, se sont engagés à un retour à l’ordre constitutionnel en 2024, tandis qu’en Guinée, autre pays dirigé par un pouvoir issu d’un putsch, la fin de la transition devrait intervenir en 2025. Dans cette perspective, la problématique des élections sera au cœur du prochain sommet de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), le 9 juillet 2023. Comme un rappel d’urgence, l’organisation régionale a indiqué ce 20 juin que « la tenue des élections dans les délais proposés est souhaitée, afin que ces pays disposent des régimes et des dirigeants démocratiquement élus ». Au Mali, la question se pose de savoir si certaines actions diplomatiques et politiques initiées par le régime de transition sont de nature à favoriser un retour apaisé à l’ordre constitutionnel normal dans les délais prévus.
Francis Laloupo
Journaliste, Essayiste
Enseignant en Géopolitique